Témoignage de Monsieur Clément DUVERNEY-GUICHARD, maire lors de la création de la station du Corbier
« La commune de Villarembert ne peut plus vivre de ses recettes dans les années soixante. Nous avons donc eu l’idée d’une station de sports d’hiver. En 1959, le budget communal est alors de 9 000 nouveaux francs. 3500 francs sont alloués d’office au contingent d’aide sociale ; beaucoup de chemins doivent être refaits, et bien d’autres travaux encore. Un autre problème s’impose à nous. Les jeunes du pays quittent le village pour travailler, notamment dans la commune voisine, à Fontcouverte-La Toussuire, auprès des remontées mécaniques ou d’hôtels. Villarembert a le potentiel pour créer une station de toutes pièces, mais pas l’argent ».
Durant ces années, les propriétaires de chalets d’alpage se sont multipliés à Fontcouverte-La Toussuire. De plus en plus, ces derniers se tournèrent vers le ski. Villarembert devait se lancer à son tour.
« Le conseil municipal d’alors souhaite lancer un projet de station de sports d’hiver vers l’altiport. Les élus prennent leur bâton de pèlerins afin d’obtenir toutes les promesses de vente, lesquelles sont valables pour une année. C’était sans compter sur les projets personnels de propriétaires fonciers concernés par le projet communal. Chacun veut monter sa propre société de remontées mécaniques. Face à cela, nous avons laissé tomber le projet.
En 1965, je travaillais aux ‘Ponts et Chaussées’. Basé à Chambéry, mon supérieur, Monsieur Michaud, directeur départemental, gérait l’implantation et le développement des stations. Il savait que Villarembert pensait à développer le Mont-Corbier… ».
Le hasard et la chance allaient changer le destin de Villarembert : L’hiver 1965 débute. Christian Guérin, un promoteur de passage, souhaite regagner en voiture la station de La Toussuire. Par chance ! Son véhicule tombe en panne … Clément Duverney-Guichard est là pour le dépanner. Ils ne se connaissent pas, mais le Maire en profite pour lui parler du Corbier et de ses atouts. Arrivés à La Toussuire, pour le remercier, Monsieur Guérin offre le champagne à Monsieur Duverney-Guichard.
« Espérons que cette bouteille nous porte bonheur à tous », lance le promoteur. Je n’ai pas compris sa remarque sur le moment. Il met le bouchon dans sa poche et nous nous séparons.
Depuis quelques temps, je travaille à l’usine Péchiney. Un matin, on me demande à la conciergerie. Un commercial m’attend : « Il faut monter à Courchevel pour rencontrer l’ingénieur en chef des ‘Ponts et Chaussées’ ». Arrivé à Courchevel et toujours dans l’expectative, on me lance : « Etes-vous toujours intéressé pour une station à Villarembert ? On a un promoteur intéressé pour développer une station en Maurienne. Sont en lice Valmeinier, Les Karellis et Le Corbier ». Le promoteur a un penchant pour Le Corbier. « J’accepte ». La station du Corbier est lancée ! J’y suis allé au culot, car à ce moment là, je n’ai aucune certitude que les propriétaires fonciers acceptent de nous céder les terrains. De retour en mairie, tous les élus se mettent à la chasse aux signatures. Pour inciter les propriétaires fonciers à signer les promesses de vente, la société des Téléskis de Villarembert – Le Corbier, la STAVIC est créée. Les propriétaires ont financé une partie des investissements et sont devenus actionnaires. La sous-préfecture de Saint-Jean-de-Maurienne me convoque. Tous les services sont là, ‘Ponts et Chaussées’, PTT, EDF, … et mon promoteur Monsieur Guérin, qui sort le bouchon de champagne !
Les premières promesses de vente ont déjà été obtenues. Nous sommes en 1966. Le promoteur veut ouvrir la station pour l’hiver 1967. La route depuis le bas de vallée s’arrête devant la mairie. Le grand pari est lancé.
L’entreprise Ratel de Saint-Jean-de-Maurienne a construit la route jusqu’au Corbier et l’a livrée comme convenu dans les temps. Les travaux se sont poursuivis jusque tard dans l’hiver ; les travaux seront achevés à temps. L’infrastructure a couté 2 000 000 de francs nouveaux, subventionnée en grande partie.
EDF doit créer deux lignes électriques supplémentaires depuis Saint-Jean-de-Maurienne afin d’éviter les pannes dues aux surcroits de nouvelles consommations.
La consommation d’eau était également plus importante du fait des travaux, des futures infrastructures et habitations. De la simple collecte des ruisseaux, nous sommes passés à la construction d’un réservoir de 500 m3 pour l’hiver 1967. Une motopompe est installée dans le ruisseau du Garney pour alimenter le réservoir. Sur l’actuel front de neige, les ouvriers de l’entreprise L’Union Savoyarde d’Entreprises sont arrivés en mars 1967. L’immeuble Le Galaxie va voir le jour. Les constructions de l’immeuble Agena et quatre étages de l’immeuble Cosmos sont lancées.
Deux télésièges desservent les nouvelles pistes :
- Le 2000, depuis le office de tourisme jusqu’au Chalet 2000
- Le Saut, jusqu’au Coq de Bruyère, puis un téléski vers le sommet du Corbier.
Mais aussi, deux téléskis vers le front de neige et le téléski de La Noire, au sommet du Corbier.
L’office de tourisme, nommé Le Tripode, a lui aussi été érigé en 1967, dans sa forme peu commune de pyramide. Son permis de construire n’est pas affiché et pour cause les propriétaires du terrain n’ont pas encore signé la promesse de vente, par oubli. Je me rends prestement à La Motte-Servolex où ils vivent. Ils signent ».
Après beaucoup d’efforts et de rebondissements, la station est inaugurée le 31 décembre 1967. Le pari était gagné.
Un chapitre de l’Histoire de Villarembert était écrit et un nouveau débutait.
Témoignage de Monsieur Christian GUERIN
Bientôt 50 ans
Il me revient que l’on commence à parler des 50 ans du CORBIER. Je remonte donc à 1964. Qu’en était-il de ce projet ? La population était passée de 600 recensés en 1806 à 400 en 1906 pour enfin tomber à 126 personnes qui y vivaient en 1962, dont la majorité de séniors ayant conservé une petite activité d’élevage pour y survivre. Deux frère et sœur ne parvenaient pas à manger correctement à leur faim ni à se chauffer l’hiver. Deux emplois sur place, le Maire et l’institutrice, laquelle animait une classe unique de 7 élèves, que l’Education Nationale voulait supprimer. Bien des jeunes étaient descendus travailler à St Jean de Maurienne et ne remontaient que de temps en temps, pour voir les vieux parents. Le budget ne permettait pas d’entretenir le cimetière. Le Préfet proposait la fusion avec Fontcouverte […]. Quelques adultes travaillaient l’hiver à la station de Toussuire et l’été aux champs. L’argent ne coulait donc pas à flot.
C’est dans cette situation que nous avons commencé à étudier le projet du Corbier. Personne n’y croyait, nous n’étions pas bien perçus et il a fallu bien des semaines et des mois pour être admis à pénétrer dans les maisons. […].
D’emblée nous sommes pourtant tombés d’accord :
- Vous voulez les remontées mécaniques ? D’accord
- Vous voulez priorité d’embauche sur la station ? D’accord
- Vous voulez la priorité pour créer des commerces ? D’accord
Nous étions d’accord sur tout mais cela leur semblait trop beau, je suppose, et personne ne me croyait. Pourtant je leur avais affirmé « Ou la parole vaut l’homme, ou l’homme ne vaut rien ! »
Et puis, à force de se fréquenter, de s’attabler ensemble au sous sol de la Mairie pour imaginer l’avenir […], une certaine confiance s’est installée avec les conseillers.
Qu’en est-il sorti ?
Nous sommes tombés d’accord « SUR PAROLE ». […]
La route a donc été commencée sur des terrains non achetés. Le chantier a été livré les premiers jours avec un âne en passant par les sentiers. Nous avons commandé les premières remontées mécaniques sans société créée, sans contrat, avec ma caution financière personnelle. […]
Tout est renté dans l’ordre à Noël avec l’ouverture de la station.
Il fallait trouver un sigle, des noms, une image pour se faire connaître. Pour le sigle l’architecte Jean Claude Bouillon a replié l’annulaire et le petit doigt de sa main droite et, écartant les trois autres doigts, il a retourné sa main et posé les trois doigts sur mon bureau en me disant :
« Un immeuble peut tenir sur trois pieds » Le tripode était né !
C’était la bagarre sur les médias entre les USA et l’URSS à qui irait sur la lune le premier. Pour être médiatiquement « dans le coup », il nous a été facile de décliner Agena, Altaïr, Antarès, Cosmos, BaÏkonour, Zodiak, Vostok etc. Nous nous assurions d’être dans l’actualité pour longtemps.
Nous n’avions prévu que des petits immeubles bas sauf deux, Cosmos et Baikonour, afin d’accueillir d’emblée suffisamment de clients pour faire tourner la station, et par la suite décliner notre station voulue « familiale et intégrée », conçue sur le principe de la séparation des quatre circulations voitures/piétons/skieurs/commerces, avec petits immeubles et chalets chaleureux . Nous avions un contrat d’exclusivité de 30 ans et n’étions pas pressés de gagner des sous. On ne se payait même pas nos honoraires pour faciliter la trésorerie et notre image « St Germain des Prés Jazz » ne nous coûtait pas cher avec tous ces copains de ma jeunesse.
Malheureusement, mai 68 a tout bouleversé. Nous avions vendu tous les appartements. Le fait de ne pas pouvoir livrer correctement à Noël 68 nous a fait tomber dans les mains des banquiers dont le seul objectif fut de « rentabiliser et en sortir vite ». Comme je résistais, ils m’ont « vidé ». Comme les fondations se faisaient sur du rocher, ils ont empilé les immeubles […].
Aujourd’hui la population a plus que doublé, la station tourne, l’école fonctionne, chacun a un poste, un commerce, des étrangers au village sont venus contribuer à cette expansion. La situation s’est totalement retournée.
Que conclure ?
Que rien, à mon avis n’est acquis. Tout est à envisager pour les 50 ans qui viennent. La mondialisation, l’équipement en stations de la Chine et la Russie, vont bouleverser les donnes touristiques. Le réchauffement climatique arrive. Le Corbier a des atouts, mais pas TOUS les atouts. Aux jeunes actuellement présents de se mobiliser, de rêver, d’envisager, de bousculer, d’agir. C’est eux qui seront là dans 50 ans pour fêter le centenaire de la station. Mon avis est qu’elle sera ce qu’ils auront VOULU en faire. Bon courage.